Le document Kairos de Palestine
Voltairenet
16 Dicembre 2009
Un groupe de leaders religieux, représentant les principales
confessions chrétiennes (à l’exception des Églises évangéliques
anglo-saxonnes), demande aux théologiens de ne pas légitimer les
injustices faites aux Palestiniens. Ils rappellent le devoir des
fidèles de résister au mal et les appellent en particulier à participer
au boycott des produits israéliens. En outre, ils dénoncent la
définition juive de l’État d’Israël et appellent au respect de tous.
Un moment de vérité:
Une parole de foi, d’espérance et d’amour venant du cœur de la souffrance palestinienne
Nous, un groupe de Palestiniens chrétiens, après avoir prié,
réfléchi et échangé devant Dieu sur l’épreuve que nous vivons sur notre
terre, sous occupation israélienne, nous faisons entendre aujourd’hui
notre cri, un cri d’espoir dans l’absence de tout espoir, uni à notre
prière et à notre foi en Dieu qui veille, dans sa divine Providence,
sur tous les habitants de cette terre. Nous inspirant du mystère de
l’amour de Dieu pour tous et de celui de sa présence divine dans
l’histoire des peuples et, plus particulièrement, dans celle de notre
terre, nous voulons dire aujourd’hui notre parole, comme chrétiens et
comme Palestiniens, une parole de foi, d’espérance et d’amour.
Pourquoi maintenant ? Parce que le drame du peuple palestinien est
arrivé, aujourd’hui, à une impasse, et que ceux qui peuvent prendre les
décisions se contentent de gérer le conflit au lieu d’agir sérieusement
pour le résoudre. Cela remplit les cœurs des fidèles de peine et de
questionnements : que fait la communauté internationale ? Que font les
chefs politiques en Palestine, Israël et dans le monde arabe ? Et, que
fait l’Eglise ? Car il ne s’agit pas simplement d’une question
politique, mais, plutôt, d’une politique qui détruit la personne
humaine. Et cela concerne l’Eglise.
Nous nous adressons à nos frères et sœurs dans nos Eglises ici, dans
cette terre. De même que nous adressons notre appel, en tant que
Palestiniens et en tant que chrétiens, à nos chefs religieux et
politiques, à notre société palestinienne et à la société israélienne,
aux responsables de la communauté internationale et à nos frères et
sœurs dans les Eglises du monde.
1. La réalité
1.1 “Ils disent ‘Paix ! Paix !’ et il n’y a point de paix” (Jr
6,14). Tous en effet parlent de paix et de processus de paix au
Moyen-Orient, alors que tout cela n’est jusqu’à maintenant que pures
paroles. Alors que la réalité est l’occupation israélienne des
Territoires palestiniens, notre privation de notre liberté et tout ce
qui en résulte :
1.1.1 Le mur de séparation, qui a été construit sur les terrains
palestiniens, en a confisqué une grande partie, a converti nos villes
et nos villages en prisons et en a fait des cantons séparés et
dispersés. Gaza, après la guerre cruelle déclenchée par Israël en
décembre 2008 et janvier 2009, continue à vivre dans des conditions
inhumaines, sous embargo permanent et reste isolée géographiquement du
reste des Territoires palestiniens.
1.1.2 Les colonies israéliennes qui nous dépouillent de notre terre,
au nom de Dieu ou au nom de la force, contrôlent nos ressources
naturelles, surtout l’eau et les terres agricoles, dont elles privent
des centaines de milliers de Palestiniens. Elles sont aujourd’hui un
obstacle face à toute solution politique
1.1.3 L’humiliation à laquelle nous sommes soumis chaque jour aux
points de contrôle militaires, pour nous rendre à notre travail, à nos
écoles ou à nos hôpitaux.
1.1.4 La séparation entre les membres d’une même famille, qui rend
la vie familiale impossible pour des milliers de Palestiniens, lorsque
l’un des époux n’est pas porteur d’une carte d’identité israélienne.
1.1.5 La liberté religieuse elle-même, à savoir la liberté d’accès
aux lieux saints, devient limitée, sous prétexte de sécurité. Les lieux
saints de Jérusalem sont inaccessibles à un grand nombre de chrétiens
et de musulmans de la Cisjordanie et de Gaza. Les gens de Jérusalem
eux-mêmes ne peuvent accéder à leurs lieux saints certains jours de
fêtes, de même que certains de nos prêtres arabes ne peuvent entrer à
Jérusalem sans difficultés.
1.1.6 Les réfugiés font partie de notre réalité. La plupart d’entre
eux vivent encore dans les camps dans des situations difficiles
inacceptables pour les êtres humains. Eux, qui ont le droit de retour,
attendent ce retour depuis des générations. Quel sera leur sort ?
1.1.7 Les milliers de personnes détenues dans les prisons
israéliennes font elles aussi partie de notre réalité. Les Israéliens
remuent ciel et terre pour un seul prisonnier, mais ces milliers de
prisonniers palestiniens qui croupissent dans les prisons israéliennes,
quand verront-ils la liberté ?
1.1.8 Jérusalem est le cœur de notre réalité. Elle est en même temps
symbole de paix et signe de conflit. Après que le “mur” a créé une
séparation entre les quartiers palestiniens de la ville, les autorités
israéliennes ne cessent de la vider de ses habitants palestiniens,
chrétiens et musulmans. On leur confisque leur carte d’identité,
c’est-à-dire leur droit de résider à Jérusalem. Leurs maisons sont
démolies ou confisquées. Jérusalem, ville de la réconciliation, est
devenue la ville de la discrimination et de l’exclusion, et donc source
de conflit au lieu d’être source de paix.
1.2 Par ailleurs, Israël tourne en dérision le droit international
et les résolutions internationales, avec l’impuissance du monde arabe
comme de la communauté internationale face à ce mépris. Les droits de
l’homme sont violés. Malgré les multiples rapports des organisations
locales et internationales des droits de la personne, l’oppression
continue.
1.2.1 Les Palestiniens de l’Etat d’Israël, tout en étant des
citoyens ayant tous les droits et les devoirs que leur confère la
citoyenneté, ont eux aussi subi une injustice historique et ne cessent
de souffrir de politiques discriminatoires. Eux aussi attendent
d’obtenir tous leurs droits et d’être traités à égalité avec tous les
citoyens de l’Etat.
1.3 L’émigration est une autre dimension de notre réalité. L’absence
de toute vision ou espoir de paix et de liberté a poussé les jeunes,
chrétiens et musulmans, à émigrer. Le pays se voit ainsi privé de sa
ressource la plus importante et la plus riche : une jeunesse instruite.
La diminution du nombre de chrétiens, en particulier en Palestine, est
une des graves conséquences de ce conflit, de l’impuissance et de
l’échec aux niveaux local et international à trouver une solution
globale au problème.
1.4 Face à cette réalité les Israéliens prétendent justifier leurs
actes comme actes de légitime défense. C’est pourquoi l’occupation
continue, de même que les punitions collectives et les représailles de
toutes sortes contre les Palestiniens. C’est là, à notre avis, une
vision renversée des choses. Oui, il y a une résistance palestinienne à
l’occupation. Mais, précisément, s’il n’y avait pas d’occupation, il
n’y aurait pas de résistance ; il n’y aurait eu non plus ni peur ni
insécurité. Voilà ce que nous constatons, et nous appelons les
Israéliens à mettre fin à l’occupation. Ils verront alors un nouveau
monde, dans lequel il n’y a ni peur ni menaces, mais sécurité, justice
et paix.
1.5 La riposte palestinienne face à cette réalité a revêtu de
nombreuses formes. Certains ont choisi la voie des négociations : c’est
là la position officielle de l’Autorité palestinienne. Mais cela n’a
pas fait avancer le processus de paix. D’autres partis politiques ont
eu recours à la résistance armée. Israël s’en est servi comme prétexte
pour accuser les Palestiniens d’être des terroristes, ce qui lui a
permis d’altérer la véritable nature du conflit, le présentant comme
une guerre israélienne contre le terrorisme et non comme une résistance
palestinienne légitime à l’occupation israélienne.
1.5.1 Le conflit interne entre les Palestiniens, ainsi que la
séparation de Gaza du reste des territoires palestiniens n’ont fait
qu’aggraver la tragédie. Il convient aussi de noter que bien que la
division ait affecté les Palestiniens eux-mêmes, la responsabilité pèse
pour beaucoup sur la communauté internationale, car elle a refusé
d’accueillir positivement la volonté du peuple palestinien telle
qu’elle a été exprimée avec les résultats des élections menées
démocratiquement et légalement en 2006.
Encore une fois, nous proclamons que notre parole chrétienne, au
milieu de toute notre tragédie, est une parole de foi, d’espérance et
d’amour.
2. Une parole de foi
Nous croyons en Dieu, un Dieu bon et juste
2.1 Nous croyons en Dieu, un et unique, créateur de l’univers et de
l’humanité, un Dieu bon, juste et aimant toutes ses créatures. Nous
croyons que toute personne humaine est créée par Dieu à son image et à
sa ressemblance. La dignité de l’être humain provient de celle de Dieu
et elle est égale en toute personne humaine. Cela veut dire pour nous,
ici et maintenant sur cette terre en particulier, que Dieu nous a créés
non pour que nous nous disputions et nous affrontions, mais afin que
nous nous connaissions et nous aimions les uns les autres, et pour
édifier ensemble cette terre, par notre amour et notre respect mutuel.
2.1.1 Nous croyons en son Verbe éternel, son Fils unique notre Seigneur Jésus Christ, qu’il a envoyé comme Sauveur du monde.
2.1.2 Nous croyons en l’Esprit Saint qui accompagne l’Eglise et
l’humanité dans leur cheminement. C’est lui qui nous aide à comprendre
les Ecritures, dans les deux Testaments, formant une seule unité, ici
et maintenant. C’est lui qui nous révèle la manifestation de Dieu à
l’humanité, dans le passé, le présent et l’avenir.
Comment comprendre la Parole de Dieu ?
2.2 Nous croyons que Dieu a parlé à l’humanité, ici, dans notre
pays : “Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé
jadis aux Pères par les Prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les
derniers, nous a parlé par le Fils qu’il a établi héritier de toutes
choses, par qui aussi il a fait les siècles” (Hb 1, 1-2).
2.2.1 Nous, Palestiniens chrétiens, comme tout chrétien dans le
monde, nous croyons que Jésus Christ est venu accomplir la Loi et les
Prophètes. Il est l’alpha et l’oméga, le début et la fin. Illuminés par
lui et guidés par le Saint Esprit, nous lisons les Ecritures, nous les
méditons et nous les interprétons, comme le fit Jésus aux deux
disciples d’Emmaüs : “Et, commençant par Moïse et parcourant tous les
Prophètes, il leur interpréta, dans toutes les Ecritures, ce qui le
concernait” (Lc 24,27).
2.2.2 Le Christ est venu proclamer que le Royaume de Dieu est
proche. Il a provoqué une révolution dans la vie et la foi de
l’humanité. Il nous a porté un “enseignement nouveau” (Mc 1,27) et une
lumière nouvelle pour comprendre l’Ancien Testament et les principaux
sujets qui y sont mentionnés et qui ont rapport avec notre foi
chrétienne et notre vie quotidienne, tels les promesses, l’élection, le
peuple de Dieu et la terre. Nous croyons que la Parole de Dieu est une
parole vivante qui jette une lumière nouvelle sur chacune des périodes
de l’histoire. Elle manifeste aux croyants ce que Dieu dit ici et
aujourd’hui. C’est pourquoi il n’est pas permis de transformer la
Parole de Dieu en lettres mortes qui défigurent l’amour et la
Providence de Dieu dans la vie des peuples et des personnes. C’est là
le défaut des interprétations bibliques fondamentalistes, qui nous
portent la mort et la destruction lorsqu’elles figent la Parole de Dieu
et la transmettent, comme parole morte, de génération en génération.
Cette parole morte est utilisée comme une arme dans notre histoire
présente, afin de nous priver de notre droit sur notre propre terre.
La vocation universelle de notre terre
2.3. Nous croyons que notre terre a une vocation universelle. Dans
cette vision d’universalité, le concept des promesses, de la terre, de
l’élection et du peuple de Dieu s’ouvrent pour embrasser toute
l’humanité, à commencer par tous les peuples de cette terre. A la
lumière des Ecritures Saintes nous voyons que la promesse de la terre
n’a jamais été à la base d’un programme politique. Elle est plutôt une
introduction au salut universel, et donc le début de la proclamation du
Royaume de Dieu sur terre.
2.3.1 Dieu a envoyé à cette terre les patriarches, les prophètes et
les apôtres porteurs d’un message universel. Aujourd’hui nous y
constituons trois religions, le judaïsme, le christianisme et l’islam.
Notre terre est terre de Dieu, comme l’est tout pays dans le monde.
Elle est sainte par sa présence en elle, car lui seul est le Très Saint
et le sanctificateur. Il est de notre devoir, nous qui l’habitons, de
respecter la volonté de Dieu sur elle et de la libérer du mal de
l’injustice et de la guerre qui est en elle. Terre de Dieu, elle doit
être terre de réconciliation, de paix et d’amour. Et cela est possible.
Si Dieu nous a mis, deux peuples, dans cette terre, il nous donne aussi
la capacité, si nous le voulons, d’y vivre ensemble, d’y établir la
justice et la paix et d’en faire vraiment une terre de Dieu : “Au
Seigneur le monde et sa richesse, la terre et tous ses habitants” (Ps
24,1).
2.3.2 Notre présence, en tant que Palestiniens - chrétiens ou
musulmans - sur cette terre n’est pas un accident. Elle a des racines
profondes liées à l’histoire et à la géographie de cette terre, comme
c’est le cas de tout peuple aujourd’hui qui vit sur sa terre. Une
injustice a été commise à notre égard, lorsqu’on nous a déracinés.
L’Occident a voulu réparer l’injustice qu’il avait commise à l’égard
des juifs dans les pays d’Europe, et il l’a fait à nos dépens et sur
notre terre. Il a ainsi réparé une injustice en en créant une autre.
2.3.3 De plus, nous voyons certains théologiens occidentaux vouloir
donner eux aussi une légitimité théologique et scripturaire à
l’injustice commise à notre égard. Selon leurs interprétations, les
promesses sont devenues une “menace pour notre existence”, et la “bonne
nouvelle” même de l’Evangile est devenue pour nous une “une annonce de
mort”. Nous invitons ces théologiens à approfondir leur réflexion sur
la Parole de Dieu et à rectifier leurs interprétations, de sorte à voir
dans la Parole de Dieu une source de vie pour tous les peuples.
2.3.4 Notre lien avec cette terre est un un droit naturel. Ce n’est
pas seulement une question d’idéologie ou de théorie théologique. Pour
nous, c’est une question de vie ou de mort. Certains ne sont pas
d’accord avec nous, et nous traitent même en ennemis pour la seule
raison que nous voulons vivre libres sur notre terre. Parce que
Palestiniens, nous souffrons à cause de l’occupation de notre terre, et
parce que chrétiens, nous souffrons des fausses interprétations de
certains théologiens. Face à cela, notre rôle consiste à rester fidèles
à la Parole de Dieu, source de vie, non de mort, et à conserver la
“bonne nouvelle” comme elle est, “bonne” pour nous et pour tous les
hommes. Face à ceux qui menacent notre existence comme Palestiniens,
musulmans et chrétiens, par les Ecritures Saintes, nous renouvelons
notre foi en Dieu, car nous savons que la Parole de Dieu ne peut pas
être pour nous une source de mort.
2.4 Nous déclarons donc que le recours à l’Ecriture Sainte pour
justifier ou soutenir des choix ou des positions politiques se fondant
sur l’injustice, imposés par un homme à son prochain ou par un peuple à
un autre, transforme la religion en idéologie humaine et prive la
Parole de Dieu de sa sainteté, de son universalité et de sa vérité.
2.5 Nous déclarons également que l’occupation israélienne des
Territoires palestiniens est un péché contre Dieu et contre la personne
humaine, car elle prive les Palestiniens des droits humains
fondamentaux que Dieu leur a accordés, et défigure l’image de Dieu dans
les Israéliens - devenus occupants - comme dans les Palestiniens,
soumis à l’occupation. Toute théologie qui prétend justifier
l’occupation en se basant sur les Ecritures, la foi ou l’histoire est
bien loin des enseignements chrétiens, car elle appelle à la violence
et à la guerre sainte au nom de Dieu, le soumettant à des intérêts
humains du “moment présent” et déformant son image dans les êtres
humains qui subissent une injustice politique et théologique.
3. L’espérance
3.1 Bien qu’il n’y ait apparemment aucune lueur d’espoir, notre
espérance reste ferme. La situation présente, en effet, n’annonce
aucune solution proche, ni la fin de l’occupation qui nous est imposée.
Les initiatives sont certes nombreuses, de même que les congrès, les
visites et les pourparlers, mais tout cela n’est suivi d’aucun
changement dans notre réalité et nos souffrances. Même la nouvelle
position des Etats-Unis, annoncée par le président Obama, et sa volonté
manifeste de mettre fin à ce drame, a été incapable d’y apporter un
quelconque changement. La réponse israélienne, refusant catégoriquement
toute solution, ne laisse aucune place à l’espoir. Malgré cela, notre
espérance reste ferme, car nous la tenons de Dieu. Il est bon,
tout-puissant et aimant. Sa bonté finira par vaincre un jour le mal
dans lequel nous vivons. Saint Paul nous dit : “Si Dieu est pour nous,
qui sera contre nous ? Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La
tribulation, l’angoisse, la persécution, la nudité, les périls, le
glaive ? Selon le mot de l’Ecriture : A cause de toi, l’on nous met à
mort tout le long du jour.... aucune créature ne pourra nous séparer de
l’amour de Dieu” (Rm 8,31.35.36.39).
Que veut dire espérer ?
3.2 L’espérance qui est en nous signifie en tout premier lieu croire
en Dieu et, deuxièmement, aspirer malgré tout à un avenir meilleur.
Enfin, elle signifie ne pas fonder notre espoir sur des illusions, car
nous savons que la solution n’est pas proche. Espérer veut dire être
capable de voir Dieu au milieu de l’épreuve et d’agir avec son Esprit
en nous. A partir de cette vision nous puisons la force pour
persévérer, survivre et nous efforcer de changer notre réalité. Espérer
veut dire ne pas se résigner devant le mal, mais dire non à
l’oppression et à l’humiliation, et continuer à résister au mal. Nous
ne voyons que destruction dans le présent et dans l’avenir ; nous
voyons la tyrannie du plus fort et sa volonté d’imposer davantage de
séparation raciste et de promulguer des lois qui bafouent notre dignité
et notre existence. Nous voyons aussi perplexité et division parmi les
Palestiniens. Cependant, si, aujourd’hui, nous résistons et agissons de
toutes nos forces, peut-être que la ruine qui se dessine à l’horizon
n’aura pas lieu.
Signes d’espérance
3.3 L’Eglise - ses chefs et ses fidèles - sur cette terre, montre de
nombreux signes d’espérance, malgré sa faiblesse et ses divisions. Nos
communautés paroissiales sont vivantes. Les jeunes y sont des messagers
actifs pour la justice et la paix. Outre l’engagement des personnes,
les institutions diverses des Eglises font de la présence chrétienne
une présence active, de service, de prière et d’amour.
3.3.1 Parmi les signes d’espérance, il y a les nombreux centres
locaux de théologie, qui ont un caractère social et religieux, dans
toutes nos Eglises. Le caractère œcuménique, malgré certaines
hésitations, se manifeste de plus en plus dans les rencontres entre les
différentes familles d’Eglises.
3.3.2 Les nombreux dialogues interreligieux sont aussi autant de
signes d’espérance, notamment le dialogue islamo-chrétien, au niveau
des responsables comme au niveau d’une partie du peuple. Toutefois, il
faut savoir que le dialogue est une longue marche et un effort qui se
perfectionne jour après jour, en vivant les mêmes épreuves et les mêmes
attentes. Le dialogue existe aussi entre les trois religions -
judaïsme, christianisme et islam - et nombre d’autres dialogues ont
lieu aux niveaux académique ou social. Tous ces dialogues s’efforcent
d’abattre les murs qu’impose l’occupation et de s’opposer à la
déformation de l’image de l’autre dans le cœur de ses frères et sœurs.
3.3.3 Parmi les signes les plus importants d’espérance, il faut
mentionner la constance des générations qui croient à la justice de
leur cause ainsi que la persévérance de la mémoire, qui n’oublie pas la
catastrophe, “la nakba” et sa signification. La même prise de
conscience est à l’œuvre dans de nombreuses Eglises à travers le monde,
qui désirent mieux connaître la vérité sur ce qui se passe ici.
3.3.4 De plus, nous voyons, chez beaucoup de gens, une détermination
à dépasser les rancunes du passé. Ils sont prêts à la réconciliation
une fois la justice rétablie. Le monde prend conscience de la nécessité
de restaurer les droits politiques des Palestiniens. Des voix juives et
israéliennes plaidant pour la paix et la justice s’élèvent à cette fin,
soutenues aussi par la communauté internationale. Il est vrai que ceux
qui sont pour la justice et la réconciliation restent impuissants à
mettre fin à l’injustice. Ils représentent cependant une force humaine
qui a son importance et pourrait abréger le temps de l’épreuve et
rapprocher celui de la réconciliation.
Mission de l’Eglise
3.4 Notre Eglise est une Eglise d’hommes et de femmes qui prient et
servent. Leur prière et leur service sont une prophétie qui porte la
voix de Dieu dans le présent et l’avenir. Tout ce qui arrive dans notre
pays et à toute personne humaine qui l’habite, toutes les épreuves et
les espérances, toute injustice et tout effort pour l’arrêter, tout
cela est une partie de la prière de notre Eglise et du service de
toutes ses institutions. Nous remercions le Seigneur parce qu’elle
élève sa voix contre l’injustice, bien que certains voudraient qu’elle
reste dans son silence, isolée dans ses dévotions.
3.4.1 La mission de l’Eglise est une mission prophétique qui
proclame la Parole de Dieu dans le contexte local et dans les
événements quotidiens, avec audace, douceur et amour pour tous. Et si
l’Eglise prend un parti, c’est celui de l’opprimé. Elle se tient à ses
côtés, de même que Jésus s’est mis du côté du pauvre et du pécheur
qu’il a appelé à se repentir, à vivre et à retrouver la dignité que
Dieu lui a donnée et dont personne n’a le droit de le priver.
3.4.2 La mission de l’Eglise consiste à annoncer le royaume de Dieu,
un royaume de justice, de paix et de dignité. Notre vocation comme
Eglise vivante est de témoigner de la bonté de Dieu, et de la dignité
de la personne humaine. Nous sommes appelés à prier et à élever notre
voix pour annoncer une société nouvelle où les hommes croient en leur
dignité et en celle de leur adversaire.
3.4.3 L’Eglise annonce le Royaume de Dieu, qui ne peut être lié à
aucun régime terrestre. Jésus dit devant Pilate : “Oui, je suis roi,
mais mon royaume n’est pas de ce monde” (cf. Jn 18,36.37). Saint Paul
dit : “Le règne de Dieu n’est pas affaire de nourriture ou de boisson,
il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint” (Rm 14,17). C’est
pourquoi la religion ne soutient et ne défend aucun régime politique
injuste. Elle soutient et défend la justice, la vérité et la dignité
humaine et essaie de porter la purification nécessaire dans les régimes
qui pratiquent l’injustice et violent la dignité de la personne
humaine. Le royaume de Dieu ne peut être lié à aucun système politique,
car il est plus grand, plus universel que tout système politique en
particulier.
3.4.4 Jésus dit : “Le royaume de Dieu est parmi vous” (cf. Lc
17,21). Cette présence en nous et parmi nous est l’extension du mystère
de la Rédemption et c’est la présence de Dieu parmi nous et le fait
d’en prendre conscience en tout ce que nous faisons ou disons. Devant
cette présence divine, nous agissons jusqu’à ce que soit accomplie la
justice que nous attendons sur cette terre.
3.4.5 Les dures circonstances qu’a vécues et que vit encore notre
Eglise palestinienne l’ont amenée à purifier sa foi et à mieux
connaître sa vocation. Nous avons réfléchi sur notre vocation et nous
l’avons mieux découverte au milieu de la souffrance et de l’épreuve :
aujourd’hui nous portons en nous la force de l’amour, non pas celle de
la vengeance ; la culture de la vie, non pas celle de la mort. Ceci est
source d’espoir pour nous, pour l’Eglise et pour le monde.
3.5 La Résurrection est le fondement de notre espérance. Jésus est
ressuscité, vainqueur de la mort et du mal. Ainsi pouvons-nous, nous
aussi, et tous les habitants de cette terre, vaincre le mal de la
guerre grâce à elle. Quant à nous, nous resterons une Eglise de
témoins, persévérante et agissante sur la terre de la Résurrection.
4. L’amour
Le commandement de l’amour
4.1 Le Christ nous a dit : “Aimez-vous les uns les autres comme je
vous ai aimés” (Jn 13,24). Il nous a déjà montré comment aimer et
comment traiter nos ennemis. Il a dit : “Vous avez entendu qu’il a été
dit : aimez vos amis et haïssez vos ennemis. Moi, je vous dis : aimez
vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent afin de devenir
fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur
les méchants et les bons et tomber la pluie sur les justes et injustes”
(Mt 5,45-47).
Saint Paul dit : “Ne rendez pas le mal pour le mal” (Rm 12,17) et
saint Pierre : "Ne rendez pas mal pour mal, insulte pour insulte.
Bénissez au contraire, car c’est à cela que vous êtes appelés, afin
d’hériter la bénédiction” (1P 3,9).
La Résistance
4.2 Les paroles de Jésus sont claires. Aimer, voilà ce qu’il nous a
donné comme commandement : aimer les amis et les ennemis. Voilà une
directive claire, lorsque nous nous trouvons dans des circonstances
dans lesquelles nous devons résister au mal, quel qu’il soit.
4.2.1 Aimer c’est voir le visage de Dieu en tout être humain. Toute
personne est mon frère et ma sœur. Néanmoins, voir le visage de Dieu en
toute personne ne veut pas dire consentir au mal ou à l’oppression de
sa part. L’amour consiste plutôt à corriger le mal et à arrêter
l’oppression.
L’injustice imposée au peuple palestinien, c’est-à-.dire
l’occupation israélienne, est un mal auquel il faut résister. C’est un
mal et un péché auquel il faut résister et qu’il faut écarter. Cette
responsabilité incombe tout d’abord aux Palestiniens eux-mêmes qui
subissent l’occupation. L’amour chrétien en effet appelle à la
résistance à l’occupation, mais l’amour met fin au mal, en prenant les
voies de la justice. Elle incombe ensuite à la communauté
internationale, car la légitimité internationale gouverne aujourd’hui
les rapports entre les peuples, et c’est en fin l’oppresseur lui-même
qui doit se libérer du mal qui est en lui et de l’injustice qu’il
exerce contre les autres..
4.2.2 Lorsque nous passons en revue l’histoire des peuples nous y
trouvons des guerres fréquentes. Nous y trouvons la résistance à la
guerre par la guerre, et à la violence par la violence. Le peuple
palestinien a tout simplement pris la route de tous les peuples,
surtout dans les premières phases de sa lutte contre l’occupation
israélienne. Mais il a aussi résisté pacifiquement, notamment durant sa
première intifada. Avec tout cela, nous voyons que tous les peuples
doivent s’engager dans une nouvelle voie dans leurs rapports les uns
avec les autres et pour la solution de leurs conflits : éviter les
voies de la force militaire et recourir aux voies de la justice. Cela
s’impose en premier lieu aux peuples puissants militairement qui
exercent l’injustice à l’égard de peuples plus faibles.
4.2.3 Nous disons que notre option chrétienne face à l’occupation
israélienne est la résistance ; c’est là un droit et un devoir des
chrétiens. Or cette résistance doit suivre la logique de l’amour. Elle
doit donc être créative, c’est-à-dire qu’il lui faut trouver les moyens
humains qui parlent à l’humanité de l’ennemi lui-même. Le fait de voir
l’image de Dieu dans le visage de l’ennemi même et de prendre des
positions de résistance à la lumière de cette vision est le moyen le
plus efficace pour arrêter l’oppression et contraindre l’oppresseur à
mettre fin à son agression et, ainsi, atteindre le but voulu :
récupérer la terre, la liberté, la dignité et l’indépendance.
4.2.4 Le Christ nous a donné un exemple à suivre. Nous devons
résister au mal, mais il nous a enseigné de ne pas résister au mal par
le mal. C’est un commandement difficile, surtout lorsque l’ennemi
s’obstine dans sa tyrannie et persiste à nier notre droit à exister ici
dans notre terre. C’est un commandement difficile. Mais c’est le seul
qui peut tenir tête aux déclarations claires et explicites des
autorités israéliennes refusant notre existence ou à leurs divers
prétextes pour continuer à nous imposer l’occupation.
4.2.5 La résistance au mal de l’occupation s’insère donc dans cet
amour chrétien qui refuse le mal et le corrige. C’est une résistance à
l’injustice sous toutes ses formes et avec les moyens qui rentrent dans
la logique de l’amour. Nous investissons toutes nos énergies pour faire
la paix. Nous pouvons recourir à la désobéissance civile. Nous
résistons, non par la mort, mais par le respect de la vie. Nous
respectons et vénérons tous ceux qui ont donné leur vie pour la patrie.
Et nous disons aussi que chaque citoyen doit être prêt à défendre sa
vie, sa liberté et sa terre.
4.2.6 L’appel lancé par des organisations civiles palestiniennes,
des organisations internationales, des ONG et certaines institutions
religieuses aux individus, entreprises et Etats en faveur d’un boycott
économique et commercial de tout produit de l’occupation, s’insère dans
la logique de la résistance pacifique. Ces campagnes de soutien et de
solidarité doivent se faire avec courage, tout en proclamant
sincèrement et clairement que leur but n’est pas de se venger de qui
que ce soit, mais de mettre fin au mal qui existe, pour en libérer
l’oppresseur et l’opprimé. L’objectif est d’affranchir les deux peuples
des positions extrémistes des différents gouvernements israéliens, afin
de parvenir enfin à la justice et à la réconciliation. Avec cet esprit
et cette action, nous finirons par arriver à la solution tant attendue,
comme cela s’est réalisé en Afrique du Sud et pour d’autres mouvements
de libération dans le monde.
4.3 Par notre amour nous dépassons les injustices pour jeter les
bases d’une nouvelle société, pour nous et pour nos adversaires. Notre
avenir et le leur ne font qu’un : ou bien un cercle de violence dans
lequel nous périssons ensemble, ou bien une paix dont nous jouissons
ensemble. Nous invitons les Israéliens à renoncer à leur injustice à
notre égard, à ne pas déformer la vérité de l’occupation en prétendant
lutter contre le terrorisme. Les racines du “terrorisme” sont
l’oppression de la personne humaine et le mal de l’occupation. Il faut
que cela disparaisse si vraiment il y a une volonté sincère de mettre
fin au “terrorisme”. Nous invitons les Israéliens à être partenaires de
paix et non partenaires dans un cycle de violence sans fin. Ensemble,
nous résistons au mal, celui de l’occupation, et celui du cycle
infernal de la violence.
5. Appel à nos frères et sœurs dans la foi
5.1 Nous sommes aujourd’hui tous dans l’impasse, et nous nous
trouvons face à un avenir menaçant. Notre parole à nos frères et sœurs
dans la foi est une parole d’espoir, de patience, de persévérance, et
d’un effort toujours renouvelé pour préparer un avenir meilleur. Une
parole qui nous dit à tous : nous sommes, dans cette terre, porteurs
d’un message, et nous continuerons à le porter, même entre les épines,
le sang et les difficultés quotidiennes. Nous mettons notre espoir en
Dieu. C’est lui qui nous accordera la paix à l’heure qu’il voudra. Mais
en même temps nous agissons. Avec lui et selon sa volonté divine, nous
continuons d’agir, de construire, de résister au mal et de rapprocher
l’heure de la justice et de la paix.
5.2 Nous leur disons : C’est un temps de pénitence, qui nous ramène
à la communion de l’amour avec tout souffrant, avec les prisonniers,
les blessés, ceux qui ont été atteints d’un handicap pour un temps ou
pour toujours, avec les enfants qui ne peuvent vivre leur enfance, avec
tous ceux qui pleurent quelqu’un qui leur est cher. La communion de
l’amour dit au croyant en esprit et en vérité : mon frère est
prisonnier, je suis donc moi prisonnier. Mon frère a sa maison démolie,
c’est ma maison qui est démolie. Mon frère a été tué, c’est moi qui ai
été tué. Nous faisons face aux mêmes défis. Nous sommes partie prenante
de tout ce qui s’est passé et se passe encore. Peut-être que nous nous
sommes tus, nous, fidèles ou chefs d’Eglises, alors qu’il fallait
élever la voix pour condamner l’oppression et partager l’épreuve. C’est
maintenant un temps de pénitence, pour le silence, l’indifférence, le
manque de communion, ou parce que nous n’avons pas été fidèles à notre
témoignage dans cette terre alors nous avons choisi d’émigrer, ou parce
que nous n’avons pas assez réfléchi et agi pour arriver à une vision
nouvelle qui nous unit alors nous nous sommes divisés, donnant un
contre témoignage, affaiblissant ainsi notre parole. Une pénitence,
pour nous être préoccupés de nos institutions aux dépens de notre
message, et pour cela nous avons fait taire la voix prophétique que
l’Esprit donne aux Eglises.
5.3 Nous invitons les chrétiens à résister dans ces temps
difficiles, comme nous l’avons fait à travers les siècles et la
succession des Etats et des gouvernements. Soyez patients, constants,
pleins d’espoir et remplissez de cet espoir le cœur de tout frère et de
toute sœur qui partage avec vous la même difficulté. Soyez “toujours
prêt à répondre à quiconque demande raison de l’espérance qui est en
vous” (1P 3,15). Soyez toujours actifs, partageant tous les sacrifices
que requiert la résistance selon la logique de l’amour, afin de
triompher de l’épreuve que nous endurons.
5.4 Notre communauté est petite, mais notre mission est grande et
importante. Le pays a un grand besoin d’amour. Notre amour est un
message pour les musulmans, pour les juifs et pour le monde.
5.4.1 Notre message aux musulmans est un message d’amour et de
convivialité et un appel à rejeter le fanatisme et l’extrémisme. C’est
aussi un message pour le monde, pour lui dire que les musulmans ne sont
pas un objet de combat ou un lieu de terrorisme, mais un but de paix et
de dialogue.
5.4.2 Notre message aux juifs leur dit : “ Si, dans le passé récent,
nous nous sommes combattus, et aujourd’hui encore nous ne cessons de
nous combattre, nous sommes cependant capables d’amour et de vie
ensemble, aujourd’hui et demain. Nous sommes capables d’organiser notre
vie politique avec toutes ses complexités selon la logique et la force
de l’amour, une fois l’occupation terminée et la justice rétablie.”
5.4.3 La parole de foi dit à tous ceux qui sont engagés dans
l’action politique : l’homme n’est pas créé pour haïr. Il n’est pas
permis de haïr. Il ne vous est pas permis de tuer ni de vous faire
tuer. La culture de l’amour est la culture de l’acceptation de l’autre.
Par elle, la personne atteint sa propre perfection, et la société
réalise sa stabilité.
6. Appel aux Eglises du monde
6.1. Notre appel aux Eglises du monde est d’abord l’expression de
notre reconnaissance pour leur solidarité, par leur parole, leur action
et leur présence parmi nous. C’est une parole d’appréciation pour la
position de plusieurs Eglises et chrétiens qui soutiennent le droit du
peuple palestinien à son auto-détermination. C’est aussi un message de
solidarité avec ces Eglises et ces chrétiens qui souffrent parce qu’ils
défendent le droit et la justice.
Mais c’est aussi un appel à la conversion et à la révision de
certaines positions théologiques fondamentalistes qui soutiennent des
positions politiques injustes à l’égard du peuple palestinien. C’est un
appel à prendre le parti de l’opprimé, à faire en sorte que la Parole
de Dieu reste une annonce de bonne nouvelle pour tous, et à ne pas la
transformer en une arme qui tue l’opprimé. La Parole de Dieu est une
parole d’amour pour toutes ses créatures. Dieu n’est l’allié de
personne contre personne. Il n’est pas non plus l’adversaire avec l’un
face à l’autre. Il est le Seigneur de tous. Il aime tous, il demande
justice à tous et il donne ses mêmes commandements à tous. C’est
pourquoi nous demandons aux Eglises de ne pas donner une couverture
théologique à l’injustice dans laquelle nous vivons, c’est-à-dire le
péché de l’occupation qui nous est imposée. La question que nous
adressons aujourd’hui à nos frères et sœurs dans toutes les Eglises est
la suivante : pouvez-vous nous aider à retrouver notre liberté ? Ainsi
seulement vous aiderez les deux peuples de cette terre à parvenir à la
justice, à la paix, à la sécurité et à l’amour.
6.2 Pour comprendre notre réalité, nous disons aux Eglises : venez
et voyez. Notre rôle consiste à vous faire connaître la vérité et à
vous accueillir comme pèlerins qui viennent pour prier et remplir une
mission de paix, d’amour et de réconciliation. Venez connaître les
faits et découvrir les gens qui peuplent cette terre, Palestiniens et
Israéliens.
6.3 Nous condamnons toute forme de racisme, religieux ou ethnique, y
compris l’antisémitisme et l’islamophobie et nous vous invitons à
condamner tout racisme et à vous y opposer fermement de quelque façon
qu’il se manifeste. Avec cela, nous vous invitons à dire une parole de
vérité et à prendre des positions de vérité en ce qui concerne
l’occupation du Territoire palestinien par Israël. Et, comme nous
l’avons déjà dit, nous voyons dans le boycottage et le retrait des
investissements un moyen non violent pour atteindre la justice, la paix
et la sécurité pour tous
7. Appel à la communauté internationale
Nous demandons à la communauté internationale de cesser la pratique
“des deux poids deux mesures” et d’appliquer à toutes les parties les
résolutions internationales qui ont trait à la question palestinienne.
Car l’application de la loi internationale aux uns et sa
non-application aux autres laisse la porte grande ouverte à la loi de
la jungle. Cela justifie aussi les prétentions de groupes armés et de
nombreux pays qui disent que la communauté internationale ne comprend
que le langage de la force. Nous vous invitons aussi à écouter l’appel
des organisations civiles et religieuses mentionnées plus haut pour
commencer à appliquer à l’égard d’Israël le système des sanctions
économiques et du boycott. Nous le répétons encore une fois, il ne
s’agit pas de se venger, mais de parvenir à une action sérieuse pour
une paix juste et définitive, qui mette fin à l’occupation israélienne
des Territoires palestiniens et d’autres territoires arabes occupés, et
qui garantisse la sécurité et la paix à tous
8. Appel aux chefs religieux juifs et musulmans
Nous adressons enfin un appel aux chefs religieux et spirituels,
juifs et musulmans, avec qui nous partageons la même vision : toute
personne humaine est créée par Dieu et tient de lui la même dignité.
D’où l’obligation de défendre l’opprimé et la dignité que Dieu lui a
accordée. Ainsi, nous nous élevons ensemble au-dessus des positions
politiques qui ont échoué jusqu’à maintenant et continuent à nous mener
dans les voies de l’échec et de l’épreuve. En effet, les voies de
l’Esprit sont différentes de celles des pouvoirs de cette terre, car
“les voies de Dieu sont toutes miséricorde et vérité” (Ps 25/24,10).
9. Appel à notre peuple palestinien et aux Israéliens
9.1 C’est un appel à voir le visage de Dieu en chacune de ses
créatures, et à aller au-delà des barrières de la peur ou de la race,
pour établir un dialogue constructeur, non pour persister dans des
manœuvres qui n’en finissent jamais et qui n’ont pour but que de
maintenir la situation telle qu’elle est. Notre appel vise à parvenir à
une vision commune bâtie sur l’égalité et le partage, non sur la
supériorité, ni sur la négation de l’autre ou l’agression, sous
prétexte de peur et de sécurité. Nous disons que l’amour est possible
et que la confiance mutuelle est possible. Donc, la paix aussi est
possible, tout comme la réconciliation définitive. Ainsi la sécurité et
la justice pour tous se réaliseront-elles.
9.2 Le domaine de l’éducation est important. Il faut que les
programmes d’éducation fassent connaître l’autre tel qu’il est et non à
travers le prisme de la querelle, de l’hostilité ou du fanatisme
religieux. En fait, les programmes de l’éducation religieuse et humaine
sont aujourd’hui empreints de cette hostilité Il est temps de commencer
une éducation nouvelle qui fait voir le visage de Dieu dans l’autre et
qui dit que nous sommes capables de nous aimer les uns les autres et de
construire ensemble notre avenir de paix et de sécurité.
9.3 Le caractère religieux de l’Etat, qu’il soit juif ou musulman,
étouffe l’Etat, le tient prisonnier dans des limites étroites, en fait
un Etat qui préfère un citoyen à l’autre et pratique l’exclusion et la
discrimination entre ses citoyens. Notre appel aux juifs et aux
musulmans religieux est le suivant : que l’Etat soit pour tous ses
citoyens, bâti sur le respect de la religion, mais aussi sur l’égalité,
la justice, la liberté et le respect du pluralisme, non sur la
domination du nombre ou de la religion.
9.4 Aux dirigeants palestiniens, nous disons que les divisions
internes ne font que nous affaiblir et augmenter nos souffrances, alors
que rien ne les justifie. Pour le bien du peuple, qui passe avant celui
des partis, il faut y mettre fin. Nous demandons à la communauté
internationale de contribuer à cette union et de respecter la volonté
du peuple palestinien librement exprimée.
9.5 Jérusalem est la base de notre vision et de toute notre vie.
Elle est la ville à laquelle Dieu a donné une importance particulière
dans l’histoire de l’humanité. Elle est la ville vers laquelle tous les
peuples s’acheminent et où ils se rencontrent dans l’amitié et l’amour
en présence du Dieu un et unique, selon la vision du prophète Esaïe :
“Il arrivera dans la suite des temps que la montagne de la maison de
Dieu sera établie en tête des montagnes et s’élèvera au-dessus des
collines. Alors toutes les nations afflueront vers elle…. Il jugera
entre les nations, il sera l’arbitre de peuples nombreux. Ils briseront
leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des
serpes. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra
plus à faire la guerre” (Is 2, 2-5).
C’est sur cette vision prophétique et sur la légitimité
internationale concernant l’ensemble de Jérusalem – habitée aujourd’hui
par deux peuples et trois religions - que doit se fonder toute solution
politique. C’est le premier point à traiter dans les pourparlers, car
la reconnaissance de sa sainteté et de sa vocation sera une source
d’inspiration pour la résolution de l’ensemble du problème, qui relève
de la confiance mutuelle et de la capacité à construire une “nouvelle
terre” sur cette terre de Dieu.
10. Espérance et foi en Dieu
10. En l’absence de tout espoir, nous faisons entendre aujourd’hui
notre cri d’espérance. Nous croyons en un Dieu bon et juste. Nous
croyons que sa bonté finira par triompher sur le mal de la haine et de
la mort qui règnent encore sur notre terre. Et nous finirons par
entrevoir une “terre nouvelle” et un “homme nouveau”, capable de
s’élever par son esprit jusqu’à l’amour de tous ses frères et sœurs qui
habitent cette terre.
Sa Béatitude Mgr Michel Sabbah
Patriarche
latin de Jérusalem (1987-2008). Président de Pax Christi International
(1999-2007). Grand Prieur de l’Ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem.
par Sa Béatitude Mgr Michel Sabbah*, Sa Grâce Mgr Munib Younan*, Son Éminence Mgr Theodosios Atallah Hanna*, Rev. P. Jamal Khader*, Mgr Rafiq Khoury*, Rev. Mitri Raheb*, Rev. Naim Ateek*, Rev. Yohana Katanacho, Rev. Fadi Diab*, Geries S. Khoury*, Cedar Duaybis*, Nora Kort*, Lucy Thaljieh, Nidal Abu El Zuluf, Yusef Daher*, Rifat Kassis*
Sorce > Voltairenet | dec 14