Des milliers de Turcs demandent "pardon" aux Arméniens
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En quatre jours, plus de 13 000 Turcs ont signé la pétition lancée, lundi 15 décembre, sur Internet. "Ma conscience ne peut pas accepter que l'on reste indifférent et que l'on nie la "grande catastrophe" subie par les Arméniens ottomans en 1915, dit le texte d'introduction. Je rejette cette injustice et, pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes frères et soeurs arméniens. Je leur demande pardon."

Ces excuses adressées aux victimes du génocide de 1915 ont été formulées par quatre intellectuels issus de la gauche turque : l'économiste Ahmet Insel, le professeur de sciences politiques Baskin Oran, le spécialiste des questions européennes, Cengiz Aktar, et le chroniqueur, Ali Bayramoglu. Le mot génocide n'apparaît pas, l'expression "grande catastrophe", utilisée par les Arméniens, lui a été préféré.

Mais cette initiative inédite de la société civile est un pas supplémentaire dans le rapprochement entre Turcs et Arméniens, opéré ces derniers mois, notamment depuis la visite à Erevan du président de la République, Abdullah Gül, en septembre. "Cela montre qu'il y a au moins 13 000 personnes qui ne croient pas dans la propagande officielle, constate Cengiz Aktar. Mais il faut y aller doucement. Sur ces terres où ont été commis des massacres, la mémoire a été gommée et remplacée par le négationnisme."

Sans surprise, les réactions haineuses ont fusé de toutes parts à l'annonce de cette campagne. "Une blague", selon Ertugrul Özkök, le rédacteur en chef du quotidien nationaliste Hürriyet, voire "un acte de trahison", pour la députée du Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste), Canan Aritman. Une soixantaine de diplomates à la retraite ont estimé, eux, qu'il s'agissait d'une initiative "inacceptable, fausse et défavorable aux intérêts de la nation. Une telle tentative, incorrecte et partiale est irrespectueuse pour notre histoire et revient à trahir notre peuple", ont-ils écrit. Pour le député du Parti de l'action nationaliste (MHP), Deniz Bölükbasi, "si quelqu'un doit s'excuser, ce sont les intellectuels et les Arméniens. Ils devraient s'excuser pour les atrocités dont ont souffert des milliers d'Anatoliens".

Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, n'a pas été le moins virulent. "Je ne l'accepte pas, je ne la soutiens pas. Nous n'avons commis aucun crime, donc nous n'avons pas besoin de nous excuser", a-t-il riposté, mercredi. Certains intellectuels, tels Nuray Mert ou Murat Belge, critiquent eux aussi cette logique de repentance.

Plus mesuré, le président Abdullah Gül, loin de condamner la pétition, a estimé que chacun était libre de donner son opinion. Même tonalité au ministère des affaires étrangères : "Nous n'avons pas à réagir contre cela", répond un porte-parole, mettant en évidence des divergences au sein du gouvernement.

Les intellectuels à l'origine de ces excuses publiques reçoivent, eux, depuis quelques jours, des tombereaux d'insultes et de menaces de mort. Pas de quoi les décourager pour autant. "C'est une ligne de crête en Turquie, souligne Cengiz Aktar. Ce qui est nouveau, c'est que ce qui n'était qu'un débat d'intellectuels devient les prémices d'un débat public."

Baskin Oran souligne, lui, la nécessité pour la fière Turquie de se doter d'une "culture du pardon". Un mot encore difficile à entendre. "C'est une chose qui n'existe pas chez nous, admet Uraz, un étudiant qui envisage de signer la pétition. Mais on vit sous ce régime qui n'accepte pas la réalité historique et si cela ne change pas, c'est un peu de notre faute."

Guillaume Perrier

Source >
  Le Monde | dec 19

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