La beauté vénéneuse de Tchernobyl			
	
					Le Monde
					11 Settembre 2010
				
	
	
 Chez Guillaume Herbaut, la splendeur des images est toujours trompeuse. La beauté a  quelque chose de vénéneux. L'enquête "L'or noir de Tchernobyl",  présentée au festival de photojournalisme de Perpignan, n'échappe pas à  la règle. Le photographe se sert d'images à l'ambiance picturale, aux  couleurs léchées, pour traiter d'une réalité effrayante : le trafic à  grande échelle des métaux radioactifs dans la zone de Tchernobyl.
Trafic de grande ampleur : sur les 8 millions de tonnes de métal que  comptait la zone, il n'en resterait plus que deux. Toutes les semaines,  200 tonnes de métal quittent les lieux, chargées sur des camions, alors  qu'officiellement aucun objet n'est autorisé à sortir. "Pour 100 dollars, les gardiens ferment les yeux",  explique Guillaume Herbaut. Au bout de la chaîne, le métal irradié est  fondu dans des métallurgies, en Ukraine, avant d'être vendu en Turquie  ou en Europe - on en a retrouvé des morceaux en Italie.
Officiellement, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA)  n'est pas au courant. L'exposition se clôt symboliquement sur le geste  de dénégation d'un officiel ukrainien.
Cela fait dix ans qu'Herbaut fréquente le site de la catastrophe  nucléaire, en Ukraine. A chaque fois, il parcourt la "zone interdite",  trente kilomètres autour de la centrale, restée très contaminée  vingt-quatre ans après l'accident. En tentant, à chaque fois, de  contourner le circuit habituel imposé par les autorités.
C'est au printemps 2010, alors qu'il part avec le journaliste Bruno Masi, qu'il parvient à percer certains mystères du site. "Je  ne comprenais pas pourquoi le cimetière d'engins militaires de  Rassokha, que j'avais photographié il y a dix ans, était interdit  d'accès. Ni pourquoi les immeubles de la ville de Pripiat, évacuée après  la catastrophe, restaient dans un état lamentable, les tuyauteries  explosées, les radiateurs arrachés."
Il lui a fallu plusieurs mois de travail, et nombre de parties de  cache-cache avec la police locale, pour mener à bien l'enquête. Grâce à  Igor, un sans-papiers qui attend son procès pour trafic de métal, le  photographe a réussi à remonter, et à photographier, toute la filière.  Sur ses images, on suit Igor le "stalker" - nom dérivé d'un livre de science-fiction d'Andreï Tarkovski,  devenu culte en Russie -, homme à tout faire qui parcourt la zone  interdite à la recherche de métal, qu'il découpe et collecte sans aucune  protection. Puis on voit les métaux récupérés par des entreprises de  sous-traitance être "décontaminés" de façon superficielle dans des  ateliers qui ressemblent à l'antre du diable. "Dans un boucan  incroyable, entourés de poussière radioactive, des hommes sans masque  nettoient le métal en projetant du sable sous pression, raconte Guillaume Herbaut. Le  compteur indiquait 400 rems, alors que la norme est de 9 à 20 rems !  Nous avons pris des photos le plus vite possible, et nous sommes  sortis." Le plus incroyable est que cette activité clandestine et  dangereuse se déroule dans les blocs 5 et 6 de la centrale, à quelques  centaines de mètres de la cafétéria où déjeunent chaque jour tous les  journalistes venus visiter le site.
La zone interdite de Tchernobyl ressemble à une gigantesque casse qui  se vide peu à peu. Dans des images tristes et silencieuses, Guillaume  Herbaut montre le cimetière d'engins militaires de Rassokha où les  hélicoptères entreposés là après la catastrophe ne sont plus que ruines.  Dans les tours abandonnées de Pripiat, les chambres abandonnées au  mobilier éparpillé et défoncé semblent avoir connu la guerre. "Il n'y a pas que le métal qui est revendu, mais aussi les briques et les vitres, alors que tout est contaminé", indique Guillaume Herbaut.
Cette remarquable enquête sur le trafic de métal est dans la lignée  d'autres travaux d'Herbaut : mettre à jour des faits de société  méconnus. Son traitement visuel est en revanche plus classique que  d'autres, où il mettait en tension le texte et l'image. Ce reportage est  en fait extrait d'un ensemble plus large sur la vie à Tchernobyl.  Guillaume Herbaut a collecté des images troublantes de gens perdus et de  paysages immaculés sur lesquels plane une menace intangible. Le tout  donnera un livre. Ensuite, le photographe a décidé de tourner la page  Tchernobyl.
Source >  Le Monde